Avertissement : cette rubrique est encore à l’état d’ébauche ; elle reprend en grande partie la conférence présentée par Jean-Claude Arrivé, Président du Cercle Généalogique du Sud-Saintonge, en l’église St-Gervais, à Jonzac, lors de la Nuit des Églises, le 5 juillet 2014.


A la fin du XVIIIe siècle, avant la Révolution, la petite ville de Jonzac connaissait une situation bien particulière.

Le seigneur de Jonzac, pris par ses activités militaires, n’habitait plus depuis longtemps dans la cité jonzacaise, et son épouse préférait la vie festive de la Cour royale. Le maître des lieux avait confié à un intendant la charge de régir ses biens et l’imposante demeure souffrait de cette situation considérée comme un abandon. La population, écrasée d’impôts, ne voyait aucune amélioration dans la vie quotidienne, ce qui ne l’incitait pas à défendre un seigneur qui disposait de tous les pouvoirs liés à l’Ancien Régime.
Dans les campagnes, l’Église souffrait, de son côté, d’un manque de moyens. Le bâtiment était dans un piteux état, depuis l’agression conduite par Agrippa d’Aubigné lors de la troisième Guerre de religion, trois siècles auparavant. Seuls quelques travaux, au cours du temps, avaient permis à l’édifice de se maintenir en un état à peine convenable. Le presbytère délabré avait été reconstruit grâce à la générosité d’un Prieur.
Après la période faste du commerce des peaux, la population partagée entre catholiques et protestants se heurtait à une situation économique alarmante depuis le déclin des tanneries sur les bords de la Seugne.

C’est dans cette situation que les prémices de la Révolution allaient se développer dans le petit bourg jonzacais, avant de s’enflammer. L’Église allait subir de plein fouet tous les événements. Il lui fallut presque un siècle pour effacer toutes les traces de la tourmente.

Deux personnages clés

Jacques-Alexis Messin et Simon-Pierre de Ribeyreys


La Révolution à Jonzac

Chacun sait les injustices à l’origine de la Révolution : servitudes à l’Ancien Régime, contribution au droit de guet et au droit d’entretien de la Tour de l’Horloge du Château, corvées de tout genre et, surtout, les divers impôts à la charge du peuple toujours en augmentation. La lecture des cahiers de doléance de la ville de Jonzac ne manque pas de nous éclairer sur le sujet, même si, avec le recul, les revendications semblent modérées. Le 29 Juillet 1789, des nouvelles alarmantes provinrent de la capitale : la Bastille, symbole du pouvoir arbitraire était tombée sous l’assaut du peuple et surtout la Grande Peur, née à Paris, s’emparait de la région ; elle était provoquée par des informations contradictoires sur une invasion imminente de la région par des soulèvements protestataires.
Messin profita de l’extrême confusion qui régnait dans la région de Jonzac pour former un « Comité Permanent », dont il devint rapidement le “leader” et il constitua la « défense » de Jonzac en créant une garde nationale de quatre compagnies de soixante-quinze hommes. Dès les premiers instants, instigateur du renouvellement révolutionnaire, il provoqua le scandale et l’opprobre dans la population locale. Ainsi dès le mois d’août 1789, il se fit expulser des assemblées de citoyens, en raison de ses prises de position alarmantes sur les événements.
Il constitua alors une Société populaire ; ses talents oratoires - reconnus - l’amenèrent à prendre rapidement l’ascendant sur le groupe. Il s’associa avec Benoit, un comparse de très mauvaise réputation, demeurant à Saint-Maurice de Tavernole, et avec Louis-Robert Genty de Boisgiraud, un étranger à la Saintonge, qui s’était intégré dans Jonzac en épousant une riche protestante ayant abjuré dans des conditions mal définies. Ensemble, ces révolutionnaires incitaient à la haine et à la division, en prônant la violence. La tribune de la société était utilisée pour dénoncer, calomnier et tenir des propos scandaleux à l’égard des habitants ne partageant pas leurs idées.
La tyrannie de l’ambitieux Messin s’accrut encore après le vote de la Constitution civile du clergé par l’Assemblée. Par cette loi, les prêtres devenaient des fonctionnaires de l’État et devaient prêter serment de fidélité à la Nation, à la Loi, au Roi et ils s’engageaient à défendre la Constitution, décrétée par l’Assemblée Nationale et acceptée par le Roi. Les évêques n’étaient plus institués par le Pape, mais désignés par le plus ancien évêque de l’arrondissement. Les curés devaient prêter serment un dimanche, avant la grand-messe et obtenaient l’autorisation de se marier. La plupart des évêques et des prêtres refusèrent ce diktat et un grand nombre émigrèrent en Espagne.
L’habitant de la Cheminaderie profita de ces nouvelles dispositions. Il prêta serment, se fit désigner curé constitutionnel de Réaux, de Meux et Saint-Martial de Vitaterne, ensuite il épousa Marie-Margueritte Collet en l’an II de la République.
Au fil du temps, les sermons de Messin devinrent des discours révolutionnaires et, avec ses amis, il ne se priva pas de dépeindre Jonzac comme « un repaire d’aristocrates prêt à se transformer en une seconde Vendée ». Avec l’arrivée de la Terreur, il redoubla ses menaces et ses dénonciations. Bientôt vinrent les premières arrestations réjouissant le tyran que les citoyens jonzacais ne tardèrent pas à qualifier de « petit Robespierre ».

Cette situation inquiétait le camp adverse, auquel appartenait le Prieur, Simon-Pierre de Ribeyreys, devenu progressivement le véritable rival de l’ancien vicaire. Simon-Pierre de Ribeyreys (le Prieur) était très apprécié de la population, mais aussi du clergé. Dès 1789, ses confrères l’avaient choisi pour les représenter à l’Assemblée à Saintes. Pour contrebalancer l’action de Messin, il avait créé « le Club de la vraie liberté », qui se voulait être une « société des amis de l’ordre », destinée à modérer l’action des révolutionnaires. Pourtant, de 1790 à 1792, il eut de grandes difficultés à contenir le zèle de ses adversaires. Il s’opposa à Messin pour le rôle dévolu à la première municipalité élue à Jonzac et dominée par ce dernier. Pour neutraliser l’action de son ancien vicaire, il remplaça, dans son service pastoral, le curé de Saint-Germain enfui en Espagne après le vote de la Constitution civile du clergé. Lui-même alla jusqu’à prêter serment à la même Constitution, pour montrer qu’il n’était pas opposé à l’ordre nouveau.

La chute de Simon-Pierre de Ribeyreys

Mais à partir de 1792, l’existence du Prieur à Jonzac allait devenir insupportable ; les attaques virulentes et perfides redoublèrent : des menaces, des calomnies et des insultes, tout servait à le discréditer. Un texte de la Convention, proposé en Août 1793, nécessitait une ratification populaire. Il fut approuvé par les Jonzacais, à l’exception des quinze membres de la société de de Ribeyreys. Ce zèle à empêcher tout excès révolutionnaire ne pouvait que le rendre de plus en plus suspect face à ses adversaires. Dénoncé auprès des autorités et des représentants du peuple Lequinio et Laignelot, il se trouva dans une situation de plus en plus insoutenable : ses origines nobles lui furent reprochées. Par ailleurs, il fut accusé de ne pas avoir lu en chaire le discours de l’Évêque constitutionnel Robinet, appelant les prêtres à prêter serment à la Constitution civile du clergé ; et, malgré une loi du 20 septembre 1792, il continuait à tenir des registres paroissiaux. Par ces manquements, Simon-Pierre de Ribeyreys devenait réfractaire à la République.
Messin et son ami Benoît triomphaient, et ils dénonçaient leurs concitoyens auprès des autorités du Gouvernement. Une vingtaine de Jonzacais fuirent pour ne pas être arrêtés par les éléments révolutionnaires. Menacé, le malheureux prieur ne dut son salut qu’en se cachant chez des paroissiens sûrs ou dans les soubassements du château, abandonné depuis le décès du dernier Comte de Jonzac.
Cette situation ne pouvait perdurer, de Ribeyreys fut dénoncé. Incarcéré à Jonzac et conduit de brigade en brigade jusqu’à Rochefort, il comparut devant le Tribunal révolutionnaire le 21 Nivôse an II (10 Janvier 1794). L’arrêt du Tribunal ne lui laissa aucun espoir :

 « Vu par le tribunal, l’acte d’accusation contre Simon-Pierre de Ribeyreys, Prêtre, curé de Jonzac, âgé de 62 ans, accusé d’avoir conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la République.
Après avoir entendu la déclaration individuelle du Juré, du Jugement et l’accusateur public sur l’application de la peine.
Le Tribunal condamne Simon-Pierre de Ribeyreys, Prêtre, curé de la commune de Jonzac, noble d’extraction, âgé de 62 ans, à la peine de mort. Déclare ses biens confisqués.
Fait à Rochefort et prononcé par Gaspard Goirand, Juge, faisant fonction de Président, le 21 Nivôse an II de la République une et indivisible
 ».  Signé : Goirand

Le malheureux prêtre mourut sur l’échafaud, après avoir accompli son devoir de patriote. Ses biens furent confisqués, ses meubles vendus et le presbytère devint un bien municipal durant une période.
Avec lui furent aussi condamnés et guillotinés, le même jour, quatre paroissiens coupables de lui avoir donné l’asile : Henri Dallemand, propriétaire, époux de Mme de la Chapelle, 46 ans ; Pierre-Charles Maignac, avocat, 27 ans ; Michel Limousin, fabricant de serge, 41 ans, ainsi qu’une femme Jeanne Marchand, Vve Landais.

Les temps difficiles

  Cependant pour Messin, les temps allaient changer ; quelques jours seulement après les exécutions, soit le 25 Nivôse (14 Janvier 1794), il essuya les effets néfastes de son emportement révolutionnaire, de ses prises de position iniques et surtout de la haine grandissante d’une partie de la population à son égard, le jugeant coupable d’avoir fait guillotiner le prieur et des paroissiens. Au cours d’une nouvelle assemblée, réunie dans l’ancienne chapelle des Carmes en présence de Leriget, agent national du district de Saintes, Messin fut mis en minorité par les modérés jonzacais l’accusant d’avoir fait emprisonner l’ancien Maire, Louis Flornoy, en s’appuyant sur un arrêté pris par les Jacobins de Paris qui « excluaient de leurs rangs tous les anciens prêtres et les ex-nobles ». Un vote eut lieu et à la question de « Messin est-il suspect ? Est-il un sujet de trouble à Jonzac ? », la sanction fut sans appel : 67 personnes répondirent “oui” contre 12 qui répondirent négativement.

Le vent tournait ; Messin fut à son tour arrêté et conduit à la prison de Pons, avant d’être traduit devant le tribunal de Rochefort. Celui qui se vantait « de chasser la superstition et combattre l’aristocratie » était devenu le curé intrus, qui dut se défendre avec son éloquence habituelle. Ses paroles traduisaient la ruse : « On m’accuse d’être un mauvais sujet et un citoyen dangereux. Mauvais sujet ? Je le suis, puisque je ne leur ressemble pas ; citoyen dangereux ? Je le suis encore puisque je démasque les coquins ! » .
Les Jonzacais se réjouirent une courte durée, après l’arrestation du tyran et de son comparse Benoît. Le procès dura deux jours et le résultat ne fut pas celui escompté ! Les accusés, bénéficiant de complicité au sein du tribunal, furent acquittés et les principaux témoins à charge furent arrêtés sur-le-champ. Une nouvelle fois, Messin triomphait et les habitants de la petite ville pouvaient craindre l’instauration d’un climat de terreur semblable à celui qui sévissait dans la capitale. 

Il semble pourtant que le contraire se produisit ; la population fit bloc, des pétitions contre Messin furent adressées au représentant du district. Le délégué de la Convention, connaissant la situation jonzacaise et la haine inspirée dans la population par Messin et ses acolytes, décida de se rendre dans la localité, accompagné par Leriget, l’accusateur à l’origine de la première arrestation de Messin. Les Jonzacais accueillirent les deux hommes avec joie, dans une ambiance survoltée, entrecoupée par des hymnes à la gloire du peuple et des cris de « Vive la liberté et vive la République ! ».
Un rassemblement entre les deux parties se tint dans l’ancienne église des Carmes. Leriget rappela à la population tous les griefs relevés à l’encontre de Messin et de Benoît. Il insista afin de prouver que le dit Messin avait préparé son procès à Rochefort et qu’il avait bénéficié de complicités dans le jury du tribunal. Leriget fut applaudi. Malgré tous ses efforts pour relever l’accusation, Messin, présent face à ses accusateurs, fut reconnu coupable d’être « l’auteur de troubles qui ont déchiré cette commune ». Il fut mis en état d’arrestation jusqu’à « la paix » et il fut transféré à Brouage. Son comparse Benoît fut envoyé à la Maison d’arrêt de Saintes et plusieurs de leurs amis furent emprisonnés à Pons.

Une fois de plus, les modérés jonzacais espéraient avoir écarté définitivement leur ennemi commun. Pourtant, à l’image de la France divisée, la population jonzacaise s’opposa en deux clans pendant plusieurs mois : incendie de maisons, injures, agressions physiques créèrent un climat détestable.
A Paris, en ce début d’année 1795, le gouvernement issu de la Révolution thermidorienne venait de terminer les guerres de Vendée et négociait avec les puissances étrangères, les grandes vagues d’épuration s’étaient calmées. Il existait comme « un climat d’apaisement », ce fut le moment choisi par les autorités départementales pour procéder à la libération des deux comparses Messin et Benoît.

La nouvelle ne manqua pas de provoquer l’indignation de la population jonzacaise. Se sentant à nouveau trahie, elle adressa une pétition à la municipalité qui, sous la pression, déposa plainte.
Une nouvelle fois, un procès fut ouvert contre Messin et quelques-uns de ses amis, à l’exception de Benoît qui avait pris la fuite. L’instruction fut menée à Jonzac par Jacques Maignac, père d’un guillotiné. De nombreux témoignages furent entendus mais, une fois encore, le principal accusé ne ménagea pas sa peine pour se défendre et démontrer son rôle de patriote persécuté.
L’instruction terminée à Jonzac, le dossier fut transmis aux juges du district à Saintes. De nouveaux témoins furent convoqués pour témoigner. Certains accusèrent Messin et ses acolytes, mais quelques-uns osèrent encore le défendre. Les juges du district étaient divisés mais, connaissant le « climat » malsain à Jonzac, ils pensèrent qu’il ne fallait pas augmenter les tensions. Après délibération, le 10 septembre 1795, les accusés furent acquittés au grand désespoir d’une majorité de Jonzacais.

Messin sortait encore vainqueur de cette confrontation judiciaire. Il disparut durant plusieurs mois pour retourner vivre auprès des siens à la Cheminaderie. L’enthousiasme révolutionnaire étant retombé, il prit du recul et vécut comme un simple citoyen auprès de son épouse, restée fidèle en dépit de tous les événements qu’il lui avait fait supporter.
Il mourut bien longtemps après, à l’âge de 79 ans.


Après la Révolution

Après la tourmente révolutionnaire secouée par tant d’excès, la situation tant humaine que matérielle semblait désespérée pour l’Église.

Pendant six années, aucun prêtre n’assura les services de la paroisse. Seuls quelques curés de passage, sans reconnaissance de la hiérarchie ecclésiastique, donnèrent un service religieux. Il fallut attendre l’an 1800 pour que l’Abbé Antoine-René de Saint-Légier, reconnu par son évêque, s’installât à Jonzac et assurât un service régulier... durant 35 ans !
Pour sa part, l’église Saint Gervais-Saint Protais de Jonzac était de plus en plus délabrée et son état nécessitait de sérieux travaux pour sa consolidation.

Le Château de Jonzac ne jouissait pas d’une meilleure situation. Il était inhabité depuis de nombreuses années, en raison de la mort du dernier seigneur de Jonzac, Pierre-Charles-François Esparbès de Lussan d’Aubeterre. Son héritier ne vint jamais demeurer à Jonzac, il n’émigra pas, aussi l’édifice ne fut-il pas vendu comme bien national. Il resta fermé jusqu’en 1805, date à laquelle il fut acheté par le Marquis Antoine-Charles de Maleyssie, qui devint Maire de Jonzac, de 1810 à 1814.

La nouvelle municipalité jonzacaise, disposant de peu de ressources, eut l’opportunité de transférer la nouvelle mairie dans l’ancienne chapelle des Carmes, inoccupée depuis la fuite des frères Carmes, chassés des lieux par les Révolutionnaires. Le tribunal s’installa durant quelques temps dans l’ancien presbytère, propriété de la ville depuis la mort du malheureux prieur.

Cette situation transitoire et précaire aurait pu avoir des conséquences assez fâcheuses pour l’avenir de la petite cité jonzacaise, si un événement nouveau n’était survenu, permettant aux autorités de la ville de réagir.
Par décret, le 17 février 1800, Bonaparte désigna Jonzac Sous-Préfecture ; l’occasion était donnée aux habitants de résister au déclin du bourg et à la Municipalité de nourrir l’ambition et la volonté de ne pas laisser dépérir les biens communaux.


 
Prêtres à Jonzac, à travers les sièclesLes prêtres qui se sont succédé à Jonzac
Père FraineauP. Pierre-Théodore Fraineau (1847-1911), prêtre originaire de Jonzac, missionnaire au Japon, à la fin du XIXe siècle
Lucile Larquier-GauronUne femme à la foi profonde, éprise d’une grande tolérance
La Sagesse, une institution à JonzacHistoire de la Congrégation de la Sagesse à Jonzac