Sœur Jeannine Le Bihan
Bienvenue en Saintonge !
A la fin de l’été, Sœur Jeannine Le Bihan
est venue enrichir de sa présence la communauté
des Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus. Si
la paroisse s’est fait une joie de l’accueillir,
« Souffle Nouveau » est allé à sa rencontre
afin de faire connaissance.
Annie Robert : Sœur Jeannine, vous le
savez, vous êtes la bienvenue dans la paroisse
où la présence de vos Sœurs est très
appréciée à travers tous les services rendus,
dans la discrétion. Pouvez-vous nous
dire ce qu’a été votre parcours ?
Sœur Jeannine : Je suis née en 1938, à
Callac-Plumelec, dans le Morbihan, dans une
fratrie de 4, au sein d’une famille croyante
et pratiquante (nous pratiquions la prière
en famille). Papa exerçait la profession de
forgeron. Du reste, un de mes frères a pris
sa succession.
A. R. : C’est donc tout naturellement que
vous avez fréquenté l’école religieuse ?
S. J. : Oui, chez les Sœurs du Sacré-Cœur
de Jésus. Le témoignage de nos enseignantes
m’a beaucoup marquée. Tout particulièrement
une religieuse en classe de CM2.
A. R. : Quand avez-vous commencé à
vous sentir appelée à la vie consacrée ?
S. J. : Très jeune, j’ai ressenti l’appel à la vie
religieuse. A l’âge de 14 ans, je suis entrée
au juvénat afin de poursuivre des études
pour devenir enseignante. Ensuite, je suis
entrée au noviciat. Ce sont là des années
de maturation et de discernement pour
s’assurer que la vocation est bien réelle.
Toutes les jeunes filles ne poursuivent pas
leur formation. Ma première profession a
eu lieu en 1959, en même temps que Sœur
Yvonne, que je retrouve à Jonzac. C’est dire
que nous nous connaissons depuis longtemps ! J’avais alors 21 ans.
A. R. : Votre carrière d’enseignante (si
on peut l’appeler ainsi) s’est déroulée de quelle manière ?
S. J. : J’ai exercé en école primaire, dans le
Morbihan, en Charente, à Segonzac durant
6 années, puis à Laval, dans la Mayenne. J’ai profondément aimé mon
métier. Mes plus grandes joies ont sans doute été d’avoir pu aider
des enfants en difficulté scolaire à retrouver la confiance en eux, à
« décoller », à s’épanouir. J’ai exercé jusqu’en 1998. Là, j’ai pu bénéficier
d’une année d’études théologiques au centre de Sèvres à Paris.
J’y ai d’ailleurs retrouvé Yvonne !
Ensuite, j’ai été envoyée dans le doyenné de Josselin, petite cité
bretonne de caractère (chaque année, le 8 septembre, s’y déroule
le Grand Pardon de Notre-Dame du Roncier). En 2010, ce fut
l’envoi en mission en Haute-Vienne, dans une communauté de 3 à
Châteauneuf-la-Forêt. En 2012, en raison du décès d’une Sœur et
d’un départ de la communauté de Feytiat, proche de Limoges, nous
n’avons plus formé qu’une seule communauté en deux lieux de vie.
A. R. : Conjointement, il y a aussi la vie religieuse, en communauté…
Comme on le dit souvent aujourd’hui, ça ne doit pas être une évidence ?
S. J. : En effet, c’est à la fois une épreuve et un défi, pour des
raisons faciles à comprendre. C’est au quotidien que se vérifie la
réalité de notre engagement. Cependant, je crois profondément au
témoignage communautaire. « Notre vie ensemble prend sa source
et fonde son unité dans le mystère de la communion divine, Père,
Fils et Esprit. » (CC n° 8/1.)
A. R. : Pour tout baptisé, la vie spirituelle n’est pas un long fleuve
tranquille. Plus encore, quand on est religieuse… Sans vouloir être indiscrète,
dans votre parcours, avez-vous connu des moments décisifs ?
S. J. : Oui. À 40 ans en 1978, j’ai pu suivre une retraite fermée de
30 jours avec un Jésuite, le Père Laplace, en suivant les exercices de
saint Ignace de Loyola. Ça a été pour moi un enracinement profond
et définitif dans la prière. Je peux dire que dans ma vie spirituelle, il
y a eu un avant et un après cette retraite.
A. R. : Parlez-moi de cette mission en Limousin. Vous étiez donc
deux religieuses ensemble dans un lieu de vie et deux autres un peu plus loin ?
S. J. : C’est cela, et ça me convenait bien. Tous les mois, nous avions
toutes les quatre un temps de vie communautaire de partage et de
convivialité. J’ai aimé cette région du Limousin, rude, mais attachante.
J’y ai vécu sept belles années dans le plateau des Millevaches, à la
paroisse « Sainte-Anne des Monts et Rivières ». J’ai appris à vivre
avec les gens les valeurs de l’Évangile, sans forcément nommer Jésus.
Oui, que de fois ai-je été émerveillée par des incroyants qui vivent
les valeurs évangéliques sans le savoir !
C’est avec regret que j’ai quitté ce lieu d’insertion avec la conviction
que la mission en Limousin creuse la foi et donne une nouvelle
profondeur à l’espérance.
A. R. : Vous voici donc envoyée vers les Saintongeais. Les maisons
en Limousin ont donc été fermées ? Je présume que c’est tout de
même un arrachement ? (Là, les yeux de Jeannine s’embuent…)
S. J. : Oui, c’est ce qui arrive en ce moment : nous devons fermer
des maisons, car il n’y a plus de renouvellement des vocations. Les
Sœurs vieillissent et nous n’avons plus les moyens de conserver nos
lieux d’implantation. Ce qui est surtout douloureux, c’est de savoir
que l’on laisse derrière soi des personnes, elles aussi fragilisées, pour
qui nous étions le dernier signe d’une présence religieuse sur le
territoire.
A. R. : L’enracinement à Jonzac est à construire. Comment l’envisagez-vous ? Je présume qu’il faut laisser un peu de temps au temps
pour faire des rencontres, vous orienter ?
S. J. : C’est cela. Construire une fraternité harmonieuse avec mes
Sœurs déjà en place, faire des rencontres, observer, discerner ce
à quoi je suis appelée, où mes compétences peuvent être utiles.
J’ai déjà pris contact avec les équipes du SEM, pour les visites aux
malades et aux personnes isolées. Dans ma vie, j’ai été au service
de la liturgie ; en ma qualité d’enseignante, j’ai fait du soutien scolaire.
A. R. : Merci Jeannine. Je suis certaine que vous nous aiderez à
construire la fraternité, à partager aussi le charisme de votre fondatrice,
Angélique Lesourd : « Manifester à tous, particulièrement
aux plus pauvres, la tendresse et la Miséricorde du Père révélées
en Jésus-Christ. »
Entretien paru dans le n° 322 du mois de novembre 2017.
Bienvenue Sœur Yvonne!
Si la présentation officielle est maintenant faite, si le visage et le sourire de Sœur Yvonne Le Gall nous sont maintenant familiers, « Souffle Nouveau » s’en est allé à sa rencontre afin de mieux faire connaissance. Si sa tête et son cœur sont encore pleins de son vécu récent, de sa mission de trois années où elle était responsable de la maison mère à Saint-Jacut-les-Pins, elle a accepté bien volontiers de nous dévoiler son parcours.
Annie Robert : Sœur Yvonne, comme la majorité de vos Sœurs, nous vous savons Bretonne de naissance…
Sœur Yvonne Le Gall : Oui, je suis née en 1938 à Lanarvily dans le Finistère. Je suis la 12e enfant d’une famille de 13. J’ai grandi dans un milieu croyant et ma scolarité s’est déroulée chez les Sœurs du Sacré-Cœur. Je garde le souvenir d’une maman très forte dans les épreuves ; elle puisait certainement cette force dans sa foi. Ma sœur aînée la secondait beaucoup, elle a été une seconde maman pour la fratrie.
A. R. : Quand est née votre vocation ?
S. Y. : Vers l’âge de 10 ans, j’ai commencé à me sentir appelée à la vie religieuse. Les témoignages des religieuses qui nous éduquaient m’ont beaucoup marquée. Je suis donc entrée au juvénat à l’âge de 14 ans et au noviciat à 18 ans. J’ai prononcé mes premiers vœux à 21 ans.
A. R. : Vous aviez choisi une orientation professionnelle ?
S. Y. : Il me tardait de devenir active. J’aimais les activités manuelles, et l’éducation ménagère m’avait attirée. Il faut dire que j’ai un peu bâclé mes études et je me suis orientée dans cette voie. Après divers postes, on a constaté que j’avais de réelles facultés d’adaptation. J’ai été envoyée à Belle-Ile-en-Mer, où j’ai œuvré dans le milieu éducatif. J’aimais ce contact avec les enfants et l’infirmerie était mon lieu de prédilection. C’est là que mes supérieures m’ont vivement conseillé de reprendre des études pour devenir infirmière, ce que j’ai fait durant deux ans à Vannes. J’avais alors 32 ans. A la suite de cela, on m’a envoyé faire un stage de trois mois à la clinique du Sacré-Cœur de Vannes, au bloc opératoire. Non seulement on m’a gardée, mais je suis devenue responsable du service et cela a duré 25 ans !
A. R. : Un beau métier !
S. Y. : Oui, j’ai beaucoup aimé ce travail qui demande une formation permanente, et surtout la vie en équipe, la convivialité, les rapports avec les collègues. Nous avons de grandes responsabilités et nous les gérons ensemble, toujours tournés vers ceux qui nous confient leur santé.
A. R. : L’heure de la retraite a sonné…
S. Y. : Oui, j’aurais pu continuer jusqu’à 65 ans, je ne me sentais pas usée, mais je savais que des jeunes avaient besoin de travail, j’ai donc fait le choix de laisser la place disponible.
A. R. : Pas trop difficile de se retrouver sur la touche ?
S. Y. : J’avais librement choisi et ma congrégation m’a offert la possibilité de faire une année d’études de théologie à Paris. Quelle chance ! Ça a été passionnant et riche !
Ensuite, j’ai été appelée à Avon, dans une petite communauté de 4 Sœurs, près de Fontainebleau. Une grande partie de mon apostolat a été consacré aux malades de l’hôpital de Fontainebleau. J’y ai rejoint une association « Les Aînés de l’Hôpital » qui regroupait 15 bénévoles réguliers (hommes et femmes). Deux fois par semaine, nous faisions nos visites en binôme.
A. R. : Après avoir soigné les corps, vous avez soigné les cœurs ?
S. Y. : C’est un peu ça. Là, j’ai retrouvé cette convivialité, ce partage autour d’un café, avec les bénévoles. Nous prenions du temps pour échanger sur les joies et les difficultés que nous avions rencontrées.
Ensuite, j’ai retrouvé une communauté de trois Sœurs, à Corvol-l’Orgueilleux, dans la Nièvre, une petite commune de 800 habitants. Là encore, j’ai visité les malades à l’hôpital de Clamecy et les personnes âgées isolées à leur domicile. Mais cette fois, j’étais seule, faisant de mon mieux pour épauler le diacre, plus très jeune, dans sa mission d’aumônier de l’hôpital.
Devoir partir et fermer la maison a été un réel crève-cœur. La présence des Sœurs étant la dernière présence chrétienne dans ce village. Les gens étaient désolés par ce départ.
A. R. : C’est là que s’est fait le rappel à la maison mère ?
S. Y. : Oui, j’ai accepté la responsabilité pour une mission de trois ans. La maison héberge 97 Sœurs dont 60 âgées ou très âgées avec tout ce que cela comporte de charges et d’attentions. Mais ne croyez pas que la maison mère soit une maison de retraite ! Il s’y passe énormément de choses dans bien des domaines. Nous recevons des groupes de convivialité. Ont lieu des ateliers de réflexion dans bien des domaines, tant vers les jeunes que vers les aînés.
La présence et le soutien de nos « chrétiens associés », qui font vivre le charisme d’Angélique Le Sourd, notre fondatrice, est quelque chose de précieux. La mission est toujours devant nous et mobilise nos énergies.
A. R. : La vie à Jonzac va sans doute être plus calme. Avez-vous des projets ?
S. Y. : Par essence, la vie d’une religieuse est de répondre à des appels… Je sais que le SEM ne boudera pas mon expérience en ce domaine. Je compte sur mes Sœurs pour me faire rencontrer des personnes âgées ou isolées qui seront heureuses de ma visite. Donner du temps pour la permanence d’accueil au presbytère… Je verrai ce qui se présentera.
A. R. : Ma Sœur, vous le savez, vous êtes la bienvenue chez nous, nous sommes conscients que votre vie de religieuse, malgré les facultés d’adaptation dont vous parlez, est faite de transplantations successives, donc d’arrachements : à chaque fois, vous devez laisser derrière vous les amis, les liens fraternels que vous avez noués…
De tout cœur, nous vous souhaitons un bon et profond enracinement en terre de Saintonge. Puissiez-vous y vivre heureuse !
Interview parue dans le journal Souffle Nouveau n° 300
A l’occasion du départ d’une des trois sœurs en juillet
Emilienne, la petite souris
Ce surnom lui va si bien !
Son arrivée à Jonzac s’est faite sans bruit et
tout de suite, nous l’avons adoptée. Aujourd’hui,
après quelques années passées chez nous, on a
du mal à croire que nous ne la verrons plus trottiner
rapidement dans nos rues vers une destination
urgente connue d’elle seule.
Discrète, mais efficace, elle file vers une visite,
une personne à écouter, une solitude à rompre,
une souffrance à soulager, un moment de prière à partager…
Oui, elle est bien cette petite souris que les enfants qui perdent leurs dents attendent. Elle vient si discrètement qu’on ne se souvient pas l’avoir jamais vue, mais elle laisse derrière elle un petit présent qui fait oublier les désagréments de la vie.
De la petite souris, elle a l’œil rond et ouvert qui vous fixe avec bienveillance et une attention soutenue.
Que pouvons-nous dire à une petite souris qui s’en va aussi prestement
vers où on l’appelle qu’elle n’était arrivée, sinon un très grand et
joyeux merci !
Merci Émilienne pour votre présence si chaleureuse !
Merci pour votre écoute.
Merci pour votre simplicité joyeuse.
Merci pour votre sens de l’accueil.
Merci pour votre attention aux autres.
Merci pour votre délicatesse envers les plus pauvres.
Merci pour votre générosité.
Merci pour ces moments de réflexion à la lumière de la foi
que vous avez guidés.
Merci pour ces moments de prière partagés.
Merci pour tout ce que vous faites,
mais surtout merci pour ce que vous êtes !
Vous qui ne souhaitez pas être mise en lumière, mais qui êtes lumière
pour qui vous rencontre, je vais abréger votre punition en rendant grâces
au Seigneur pour le joli cadeau que vous avez été pour nous.
Il est temps de vous expédier vers d’autres attentes. Filez vite, petite
souris. Notre amitié vous suivra.
Article rédigé par Annie Robert et publié dans Souffle Nouveau n° 298